Cycle 2013-2014 : Liberté et contrainte dans les sociétés musulmanes

Du 7 janvier au 13 mai 2014

Mardi, de 18h à 20h
Amphithéâtre François Furet, 105 bd Raspail, 75006 Paris

Présentation

Si, dans les courants majoritaires de la théologie musulmane, la liberté de l’homme est inséparable de la Loi et du décret divin, cette perception restrictive de la liberté a été interrogée depuis longtemps par la philosophie. Elle a également été remise en question par le développement des formes modernes de la vie politique et sociale. Cette tension entre liberté et contrainte demeure néanmoins au cœur des controverses qui agitent le monde musulman. En 2011, des soulèvements populaires ont ébranlé les régimes autoritaires dans les pays arabes, au cri de « huriya » (liberté). Mais ces révolutions ont aussi propulsé sur le devant de la scène politique des mouvements islamistes revendiquant, au nom du respect des valeurs de l’islam, certaines restrictions aux libertés individuelles et collectives.

Dans ce cycle de conférences, la question de la liberté et de la contrainte dans les sociétés musulmanes sera reprise et examinée à travers un certain nombre de prismes : la création artistique et littéraire, le traitement des minorités religieuses (musulmanes ou non), l’abolition de l’esclavage, la question du genre, etc.

7 janvier

La liberté spirituelle en islam et l'interprétation de "Pas de contrainte en religion"

Christian Jambet, directeur d'études, EPHE

Dans l'esprit et la lettre des théologies majoritaires en islam, la liberté de l'homme est inséparable de la Loi et du décret divin. On montrera que les formes de la liberté consistent non à s'abstraire de l'ordre divin intégral, mais à se rendre, en quelque façon, semblable à Celui qui l'instaure, par une démarche intérieure et spirituelle. On prendra l'exemple de l'interprétation de la phrase fameuse, présente dans le Coran (2, 256), "Pas de contrainte en religion", par le grand philosophe Mullâ Sadrâ, et l'on s'interrogera sur le sens, pour le destin de l'islam, de la distinction entre une liberté intérieure, perfection de l'âme, et une liberté extérieure à la Loi, jugée illicite ou illusoire.

Modérateur : Bernard Heyberger, directeur d’études EHESS, directeur de l’IISMM-EHESS

14 janvier

Interdits religieux, contraintes sociétales, libertés littéraires

Frédéric Lagrangeprofesseur des universités, directeur de l'UFR d'Etudes arabes et hébraïques, Université Paris IV

Les édits et interdits religieux, dans le domaine de la sexualité en particulier, contribuent à façonner les valeurs et contraintes sociales, mais ne les résument ni ne les recoupent entièrement. La littérature d’expression arabe, médiévale ou contemporaine, exprime en des termes et sous des motifs différents la perpétuation du conflit insoluble entre loi de Dieu et loi des hommes, désirs et interdits.

Modérateur : Pierre Lory, directeur d’études EPHE


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21 janvier

Un dessinateur dans un pays autoritaire

Slimdessinateur

Il fut un temps à Alger où l'on n'ouvrait le Moudjahid que pour y trouver le nouveau dessin de Slim, auteur d'une série légendaire, caricature de la vie quotidienne en Algérie : autour du personnage de Bouzid, il croquait avec gentillesse, mais de façon d'autant plus cruelle, la vraie vie du petit peuple. Avec le temps l'engagement a pris forme, et notamment après 1990, prenant pour double cible le pouvoir et les islamistes. Et le dessinateur habile et vif est devenu un graphiste largement admiré. Pourtant, Slim a continué à voir les choses à la base et de l'intérieur. Comme l'a observé Wolinski : “si vous voulez connaître l'Algérie, lisez les albums de Slim.”

Modérateur : François Pouillon, directeur d’études, EHESS


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28 janvier

Les Arabes et la Shoah

Gilbert Achcarprofesseur, School of Oriental and African Studies, Londres

Avec le conflit israélo-arabe, l’attitude à l’égard des Juifs, de l’antisémitisme et de la Shoah est un puissant révélateur de la nature profonde des courants politiques qui traversent le monde arabe. Comme toute vision religieuse de la politique, l’intégrisme islamique a tendance à essentialiser le conflit et à emprunter à l’antisémitisme occidental. Ce positionnement est dans une certaine mesure symétrique aux attitudes pro-israéliennes essentialistes.

Modérateur :Rémy Madinier, chargé de recherche CNRS, co-directeur de l’IISMM-EHESS

4 février

La liberté de pensée et la science

Faouzia Farida Charfiprofesseure de physique à l'Université de Tunis, secrétaire d'État à l'Enseignement supérieur

Qu’en est-il aujourd’hui du rapport des musulmans avec la science ? Deux attitudes s’affrontent, celle prônant la liberté de pensée, le questionnement critique, sans limites et sans tabous, et celle affirmant la prédominance du dogme sur la science, menant à une littérature concordiste très présente sur la Toile, déroulant les miracles scientifiques du Coran et rejoignant les thèses des fondamentalistes religieux aux Etats Unis. Le discours anti-Darwin, de plus en plus présent en terre d’islam, est développé par les tenants de l’islam politique dont la cible principale est l’école. Dans quelle mesure une telle idéologie déniant toute légitimité à l’examen critique progresse-t-elle ? Comment y faire face dans le contexte actuel des révolutions arabes, marquant la rupture par rapport aux régimes autoritaires, incompatible avec la confiscation de la liberté de pensée ? Résister à ceux qui ne conçoivent la science que comme un produit « utile » et défendre l’aventure des esprits libres et critiques.

Modérateur : Bernard Heyberger, directeur d’études EHESS, directeur de l’IISMM-EHESS


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11 février

Cinéma sous contraintes. Zoom sur le cas iranien

Agnès Devictor, maître de conférence, Université Paris I

Le cinéma iranien est reconnu comme l’un des plus dynamiques de la région. Nombre de ses films s’aventurent vers des choix formels audacieux, questionnent les genres, bousculent les tabous politiques et sociaux. Cette force créative s’est pourtant déployée dans un système de production extrêmement contraignant, la censure n’étant qu’un des multiples obstacles et limitations auxquels doivent faire face cinéastes et producteurs en République islamique d'Iran.

Modératrice : Cécile Boëx, maîtresse de conférences, EHESS

4 mars

Sunnisme et chiisme en conflit (Afghanistan et Pakistan)

Fariba Adelkhahdirectrice de recherche, Science Po (Paris)

Les débats politiques relatifs à l’islam tendent à mettre en exergue les tensions, voire les conflits, au sein de la société, entre chiites et sunnites, ou entre différents groupes ethniques. De ce fait, ils oblitèrent d’autres discussions portant sur les changements structurels liés à la recomposition ethnique et confessionnelle en Afghanistan. Toutefois, c’est bien à travers les pratiques religieuses que s’opèrent le plus souvent ces transformations structurelles. L’attestent l’évolution du droit privé et le développement d’écoles religieuses pour filles dans le double cadre, paradoxal, de la consolidation des liens communautaires, d’une part, et, de l’autre, du renforcement de la sphère légale et institutionnelle.

Mariam Abou Zahabchargée de cours, Institut national des langues orientales

Les violences confessionnelles sous leur forme actuelle (assassinats ciblés, attentats-suicides) sont un phénomène nouveau qui a débuté dans les années 1980 et qui a trouvé ces dernières années de nouveaux champs de bataille, de nouvelles recrues et de nouvelles cibles. Le discours sectaire fait partie du débat qui hante le Pakistan depuis 1947 sur qui est musulman. Les identités religieuses autrefois fluides se sont radicalisées.

Cette présentation tentera d'expliquer pourquoi le terme “islam” est devenu synonyme d'islam politique sunnite, et comment le discours anti-chiite a changé au cours de la décennie écoulée. Seront abordés le rôle de l'Etat et des médias dans la construction de “l'autre”, l'implication de l'utilisation systématique du terme de « minorité » pour désigner les chiites, l'intolérance croissante de la société dans un pays où l'identité nationale est centrée sur la majorité religieuse et l’utilisation de l'espace public pour réduire la pluralité religieuse.

Modérateur : Michel Boivin, directeur de recherche, CNRS


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11 mars

La question du genre et les mouvements de femmes dans les pays musulmans

Azadeh Kianprofesseur de sociologie, Université Paris VII

La  question du genre représente un enjeu principal des pays musulmans où la religion a été instrumentalisée pour justifier l'ordre politique patriarcal. La citoyenneté formelle accordée aux femmes par l’élite politique modernisatrice comme stratégie d’insertion sociale dans le régime politique a eu des conséquences à la fois émancipatrices et régulatrices. Cette stratégie n’entendait pas remettre en question les inégalités sociales entre les hommes et les femmes, mais faciliter l'accès réglementé des femmes instruites et « modernes » à la sphère publique. Elle tentait d’éviter l’émergence de la citoyenneté par le bas et ne visait pas la construction de la société civile.

Les mouvements de femmes, constitués dès le début du XXème siècle de militantes issues des classes moyennes et supérieures, ont été liés aux changements socioéconomiques et au développement politique de leurs pays et y ont laissé leur empreinte. Hétérogènes et pluriels, ils ont tenté de décentrer le discours hégémonique grâce aux interactions et luttes communes, et ont récusé aussi la validité d'un modèle d'émancipation unique qui serait issu de l'histoire et des modèles occidentaux.

Modératrice : Nathalie Bernard-Maugiron, directrice de recherche IRD, co-directrice de l’IISMM-EHESS


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18 mars

Esclaves en sociétés musulmanes, période moderne et contemporaine

M’hamed Oualdi, Assistant Professor, Princeton University, MCF en détachement de l'Inalco

En se fondant sur des travaux menés par des historiens sur les esclavages dans des sociétés musulmanes d'Afrique et d'Asie, cette présentation reviendra tout d'abord sur les liens qui furent longtemps établis entre l'Islam en tant que civilisation et l'esclavage (dans ses pratiques et ses théorisations). Puis seront observés les causes et les effets sur ces sociétés des abolitions de l’esclavage à partir des années 1820, notamment à partir des cas méditerranéens.

Modérateur : Pierre Vermeren, professeur des universités, UniversitéParis 1


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25 mars

La guerre des subjectivités dans l'islam contemporain

Fethi Benslamaprofesseur de psychopathologie, directeur de l'UFR d'études psychanalytiques, directeur de l'Institut Humanités et Sciences de Paris, Université Paris VII

Modératrice : Anne-Marie Moulin, médecin et philosophe des sciences

1er avril

Les libertés religieuses et leurs limites dans l'Empire ottoman au XIXème siècle

Selim Deringilprofesseur d’histoire à Bogaziçi University (Istanbul) et à l’American University (Beyrouth)

L'Empire ottoman connaît des réformes structurelles au XIXème siècle. L'abolition de la condamnation à mort pour le crime d'apostasie de l'islam (ridda) en est une des plus emblématiques. En 1844, le sultan Abdülmecid I (1839-1861) décrète qu'un apostat (murted) ne sera plus exécuté mais "déplacé", exilé dans une région où son crime n’est  pas de notoriété publique. La mesure intervient en grande partie à la suite de pressions diplomatiques exercées par l'ambassadeur britannique, Stratford Canning. Le sultan - également calife de l'Islam - s'est ainsi retrouvé dans une position très délicate : d'une part, il lui incombait de défendre la foi et prévenir les défections, et de l'autre, il devait composer avec l'ingérence, voire l'arrogance des puissances étrangères. Sachant que si l'Empire ottoman voulait faire partie du club des "puissances civilisées" (düvel-i medeniye), la réforme s'imposait aux yeux des élites ottomanes. La solution trouvée en définitive fut le Rescrit impérial (irade) de 1844 qui était en fait un "ordre secret", "qu'il n'y avait pas lieu de mentionner ci et là", évitant ainsi une déclaration publique de nature à embarrasser le sultan-calife.

Cette conférence partira de ces faits pour analyser la nouvelle liberté religieuse et ses limites dans l'Empire ottoman du XIXème siècle, dont les enjeux se situent désormais au croisement des questions d'Etat et de citoyenneté, de politiques identitaires et de stratégies de survie, comme développé dans le livre récent du conférencier, Conversion et Apostasie à la fin de l'Empire ottoman.

Modérateur :Bernard Heyberger, directeur d’études EHESS, directeur de l’IISMM-EHESS


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8 avril

Etre écrivain en Egypte : entre liberté alternative et contraintes du dire

Khaled El Khamissiécrivain, auteur de Taxi

Le mouvement révolutionnaire égyptien de ces dernières années n’a pas ébranlé les trois principaux piliers de la liberté d’expression qui sont historiquement la religion, les mœurs et la politique. L’ombre de l’un ou l’autre peut, selon les circonstances, s’agrandir ou se rétrécir, mais ils n’en demeurent pas moins les supports essentiels du bâillon de la censure. Un phénomène d’importance majeure est cependant survenu durant ce tournant révolutionnaire : la résistance aux tabous n’est plus aujourd’hui réservée à l’élite, elle est devenue la cause d’un mouvement populaire. Aurait-on pu ainsi imaginer, il y a quelques années, que des jeunes puissent qualifier de fête sanglante la fête du Sacrifice d’Abraham (Aïd al-Kabîr), et ce pour défier ouvertement les vieilles barbes religieuses ? Il reste donc à s’interroger sur les formes de cette résistance et son influence supposée sur l’expression littéraire en Egypte. 

Modérateur :Franck Mermier, directeur de recherche, CNRS

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29 avril

L'image en Islam: entre libertés d'interprétation et contraintes d'une tradition

Silvia Naefprofesseure ordinaire, Université de Genève

Contrairement à une idée reçue, le statut des images en Islam est, malgré une attitude négative à l’égard des représentations figuratives d’êtres animés exprimée dans les hadiths, sujet à interprétation. L’absence d’images s’explique souvent davantage par une tradition de pratique artistique et d’interprétation que par des textes explicitement restrictifs. Il n’est donc pas étonnant qu’avec la « multiplication des images » intervenue depuis le XIXème siècle, il y ait débat à ce propos parmi les interprètes de la loi religieuse, débat dont il sera question ici.

Modérateur :Pierre Lory, directeur d’études, EPHE

6 mai

Enfermé(e)s : politiques et vécus contemporains de la prison en Palestine et au delà

Stéphanie Latte-AbdallahCNRS-Institut français du Proche-Orient

En partant de l’incarcération en Palestine, il s’agit de retracer des expériences de la prison au Moyen-Orient et dans les sociétés arabes. Elles sont marquées par la centralité de l’emprisonnement politique et par des formes d’incarcération particulières pour les femmes. Autour des vécus différenciés et parfois genrés de cette contrainte, seront aussi évoquées les contestations émergentes et alternatives, les mobilisations à partir de et par-delà la prison qui sont liées aux transformations des militantismes et de leurs outils de communication (vocabulaire, références, répertoires d’action, pratiques, utilisation des images et du numérique, etc.) et aux changements politiques, notamment dans le sillage du dit « printemps arabe ». 

Modérateur :Gabriel Martinez-Gros, professeur, Université de Paris X

13 mai

Minorités chrétiennes en terre d'islam

Bernard Heybergerdirecteur IISMM-EHESS, directeur d’études EHESS

Le droit musulman a élaboré progressivement un ensemble de prescriptions appelé dhimma (« protection ») pour fixer la place des chrétiens, des juifs et des zoroastriens en tant que sujets dans la société musulmane. Alors que ces dispositions sont parfois présentées aujourd’hui comme un idéal par ceux qui souhaitent l’établissement d’un Etat islamique, elles sont dénoncées comme discriminatoires par les chrétiens du Proche-Orient qui aspirent à la citoyenneté, et évoquées comme un argument contre l’intolérance musulmane par les milieux islamophobes.

L’examen de l’application de la dhimma dans le contexte historique, confronté aux situations contemporaines, apporte des éléments de réflexion à la question du pluralisme religieux dans les sociétés du Proche-Orient à la sortie des « révolutions arabes ».

Modératrice : Nathalie Clayer, directrice de recherche, EHESS, directrice du CETOBAC


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