Cycle 2009-2010 : Connaissance de l’Islam

Du 9 février au 25 mai 2010

Mardi, de 18h à 20h
Amphithéâtre François Furet, 105 bd Raspail, 75006 Paris

Présentation

L’IISMM organise pour la cinquième année consécutive, et en partenariat avec le Collège de France, le cycle de conférences publiques « Connaissance de l’Islam ». Le thème choisi cette année  «  Iran-Pakistan-Afghanistan : au cœur du conflit régional ? » est au centre de l’actualité internationale.

Dans ces trois pays, à la fois réceptacles des tensions mondiales et  acteurs à part entière de tensions régionales, les forces politiques et les mouvements sociaux sont les protagonistes d’affrontements qui dépassent largement leurs frontières et interagissent de façon permanente.

C’est pour tenter de défaire l’écheveau, d’analyser les forces en présence et les enjeux, et de comprendre comment ces facteurs de crise interfèrent, que l’IISMM et le Collège de France organisent ce cycle.

"Al Qaïda", "Talibans", « shari’a », "menace nucléaire", il n’y a pas un jour où les media n’emploient ces mots et ne se fassent l’écho des crises et conflits qui touchent respectivement l’Afghanistan, le Pakistan et l’Iran, mais en recourant le plus souvent à des schémas simplificateurs.

Or c’est bien la complexité qui caractérise la situation de la région Le facteur religieux y est une donnée importante, souvent soulignée. Devenue le siège de l’ « extrémisme » islamiste, zone-refuge d’Al-Qaida et des talibans, la région est également le lieu d’une co-présence entre chiisme et sunnisme, alimentant périodiquement rivalités et conflits, soulevant la question du statut des minorités religieuses (sunnites en Iran, chiites au Pakistan et en Afghanistan).

Sur le plan économique, le marché de l’opium est un enjeu à part entière des conflits régionaux, l’Afghanistan produisant 95% de l’opium illicite récolté dans le monde et servant de principale source de financement des milices armées, voire faisant office de principale activité dans une économie dévastée. L’exportation de cette production passe évidemment par les deux pays voisins, autre facteur d’interaction avec des réseaux aux ramifications innombrables.

Enfin dans les affrontements armés et les interventions extérieures qui caractérisent la région, les Etats jouent leur partition, de la protection des frontières nationales à la quête d’une suprématie régionale. D’où des stratégies complexes et changeantes, allant du soutien ou de la recherche de ralliement partiels à la tentative d’éradication, à l’égard d’organisations transverses, ce qui confère à ces dernières un rôle clé dans l’activation ou la résolution des conflits. C’est le cas d’Al-Qaida, qui s’est développé à la charnière entre l’Afghanistan et le Pakistan et dont le maintien ou le déclin dépend évidemment de la situation sécuritaire dans les zones frontalières et de la stratégie de réponse américaine à cette menace spécifique.

Ce cycle de conférences, par une approche transversale, contribuera à apporter de nouveaux éclairages et à révéler des aspects moins connus de la problématique régionale.

Echelonnées entre février et mai 2009, les conférences auront lieu le mardi, de 18h à 20h dans l’amphithéâtre de l’EHESS, au 105 bd Raspail, 75006, Paris.

9 février

Le chiisme, fondements doctrinaux et évolution historique

Mohammed Amir-Moezzidirecteur d’études à l’EPHETel qu'il se présente à travers ses textes fondamentaux, le chiisme  duodécimain se définit comme une imamologie, une religion totalement centrée sur la figure de l'Imam, le "guide divin". Tous les domaines religieux, de la cosmogonie à l'eschatologie, du droit au commentaire coranique en passant par la mystique ou la philosophie ne sont déterminés et ne prennent sens qu'à travers l'imamologie. Cette doctrine de base s'avère, à travers ses sources, être de nature initiatique, ésotérique et herméneutique. Comment  a-t-elle pu donner naissance en son sein à une idéologie qui aboutit à la révolution islamique d'Iran ? Pour examiner cette évolution historique, il faut remonter à la Bagdad bouyide du Xe siècle où se déclenche le phénomène de la substitution de la figure de l'Imam par celle du juriste-théologien, phénomène consolidé par l'officialisation du chiisme comme religion d'État dans l'Iran safavide du XVIe siècle.  

16 février

Géopolitique de l'opium en Asie du Sud-Ouest (Afghanistan-Pakistan-Iran)

Alain Labroussejournaliste, membre du collège scientifique de l’Observatoire français des drogues et des toxicomanies

L'Afghanistan produit aujourd'hui 95 % de l'opium illicite récolté dans le monde. Une partie de  cette matière première est transformée sur place  en héroïne qui se déverse sur les pays voisins ou  est exportée en Europe via l'Iran et l'Asie centrale. Cette spécialisation peu enviable a pour cause les guerres dont ce pays est le théâtre depuis trente ans, ainsi que l'utilisation par les belligérants et par leurs puissants protecteurs de l'argent de la drogue pour financer des besoins militaires. L'opium est ainsi devenu un facteur clé de la géopolitique régionale.

2 mars

Quelle république pour quel islam ? Les renouveaux sunnites en Iran et leurs enjeux géostratégiques

Stéphane Dudoignonchargé de recherche CNRS/CHDT-EHESS L’Iran est  depuis les années 1930 le théâtre d’importants renouveaux sunnites.  Démographiquement minoritaire et cantonné dans les régions périphériques du  pays, de peuplement en grande partie non persan, le sunnisme iranien est  également réduit depuis 1979 à une situation de « minorité sans statut ». Tirant profit du cadre institutionnel de la République islamique,  les religieux sunnites d’Iran ont bien tenté de promouvoir une identité  sunnite iranienne à l’échelle du pays. Toutefois, leur échec à obtenir une vraie reconnaissance politique puis les efforts de l’administration Ahmadinejhad pour contrôler leurs institutions  ont suscité depuis 2007 un essor spectaculaire de la violence  interconfessionnelle. La République islamique semble ne savoir que faire de  renouveaux sunnites qui constituent à la fois un facteur d’intégration nationale  des groupes ethniques les plus divers, ainsi qu’un vecteur d’influence iranienne  au-delà des frontières de l’Iran, mais aussi un défi politique frontal : car que faire d’un sunnisme iranien politisé, aussi profondément antioccidental que la République islamique elle-même, mais niant les principes mêmes d’une  constitution iranienne marquée du sceau de la pensée chiite relue et corrigée par Ruhollah Khomeyni ?

9 mars

1979-2009: élargissement du Moyen-Orient vers l'Asie musulmane

Hamit Bozarslan, directeur d’études CHDT-EHESSDe la fin de la Première Guerre mondiale à la fin des années 1970, le « Moyen-Orient » désignait, pour l’essentiel, le monde arabe, à l’exclusion de l’Afrique du nord. En déclenchant une transhumance militaire à grande échelle, les événements et les conflits post-1979 ont débouché sur un élargissement de cette région vers l’Asie (Iran, Afghanistan et Pakistan) qui sera analysée au cours de cette conférence.  

16 mars

Les vies pakistanaises et afghanes d'Al-Qaïda

Jean-Pierre Filiuprofesseur associé à l’IEP de Paris (chaire Moyen-Orient)

Le devenir et le développement de l’organisation d’Oussama Ben Laden sont intimement liés au Pakistan, où Al-Qaida a été fondée en août 1988, et à l’Afghanistan, où elle a connu son apogée de 1998 à 2001, sous la protection de l’émirat taliban. C’est à la charnière de ces deux pays qu’Al-Qaida a inventé et cultivé le jihad global, dont le sort et l’avenir se jouent largement aujourd’hui en « Af-Pak ».

23 mars

Les Afghans iraniens

Fariba Abdelkah, directeur de recherche FNSP/CERI Si l'émigration afghane est le fruit de la conjoncture sociopolitique, sècheresses, changements de régime, guerres et de la structure économique pastoralisme, cycles saisonniers des activités productives, elle s'inscrit dans un continuum historique de mouvements récurrents de populations à l'échelle de la région. De nombreux Afghans, notamment mais non exclusivement hazara, ont fait souche en Iran depuis la fin du XIXème siècle. Leur présence dans ce pays s'est intensifiée dans les années 1970, à la suite du boom pétrolier iranien et de la sècheresse en Afghanistan, puis des bouleversements politiques que ce pays a connus depuis 1978. La politique de la République islamique à l'égard des Afghans a été à la fois changeante et incohérente; elle s'est désormais donné pour but leur rapatriement, dans un climat de xénophobie à la fois officielle et populaire. Pourtant, la présence afghane sur le sol iranien semble irréversible: elle satisfait des besoins économiques, exprime l'intensité des échanges commerciaux entre les deux pays, constitue une réalité sociale transfrontalière complexe. Enfin, elle nourrit un débat public et juridique sur la définition de la citoyenneté et parait inhérente à l'idée nationale iranienne elle-même.

30 mars

Le Pakistan à l'épreuve des Talibans Mariam Abu Zahabchargée de cours à l'Institut d'études politiques de Paris et à l'Institut national des langues et civilisations orientales (INaLCO)

Pendant des années le Pakistan a nié l'existence d'un danger extrémiste pour le pays, mais depuis l'affaire de la Mosquée rouge d'Islamabad en 2007, les taliban pakistanais affrontent l'armée et multiplient les attentats-suicides dans les villes du pays. Des offensives militaires de grande ampleur ont été menées en 2008 et 2009 dans la vallée de Swat et au Waziristan. Ont-elles atteint leur objectif ? Le Pakistan est-il vraiment déterminé à en finir avec les taliban et a-t-il les moyens d'y parvenir ? Quelle est la stratégie des taliban pakistanais ? Quelles sont leurs bases de soutien ? Ont-ils réussi à s'implanter dans d'autres régions du pays ? La talibanisation du Pakistan est-elle possible ? Les Etats-Unis peuvent-ils intervenir au Pakistan ? Quelles sont les relations entre les taliban pakistanais et les taliban afghans ? 

6 avril

Martyr sans djihad : l'usage du religieux dans le discours politique des partis laïcs du Pakistan

Michel Boivinchargé de recherche CNRS

Le Pakistan est généralement présenté comme un épicentre du terrorisme islamiste où fleurissent les martyrs du djihad. Cette représentation occulte cependant que les partis politiques laïcs restent prédominants dans le paysage politique. Mais dans un pays créé en 1947 pour donner une nation aux musulmans du sous continent indien, il est difficile de rejeter catégoriquement les références religieuses. Il s'agira donc d'analyser la place de la religion dans le discours politique de ces partis, en particulier à travers l'étude de l'idée de martyre.

13 avril

L'Iran de la révolte

Bernard Hourcadedirecteur de recherche au CNRS

La société iranienne a profondément changé depuis trois décennies, mais la traduction en termes politiques de ces faits sociologiques a longtemps été impossible. L'élection présidentielle de juin 2009 et la contestation de l'élection, avaient pour la première fois un vrai enjeu. Après le discours du nouvel an de Barack Obama, qui ouvrait pour une issue durable à l'isolement surtout des élites du régime, ces dernières ont décidé qu'il était temps de prendre des décisions courageuses et de saisir cette opportunité. Les partisans du statu quo sont également conscients que c'est l'avenir même de la république islamique qui est en jeu, ou du moins les fondements de sa politique. La révolte des Iraniens est profonde et durable, toute la question est de savoir qui sera capable de la prendre en compte, de la traduire à court terme en décisions politiques, et de placer l'Iran dans une nouvelle dynamique de pays émergent.

4 mai

Le Pakistan au coeur des tensions régionales

Christophe Jaffrelotancien directeur du CERI-Sciences-po/CNRS

La mise en avant du couple Afghanistan/Pakistan à travers la notion d'AfPak a tendu à récemment occulter le rôle clé de l'Inde dans la zone. New Delhi cherche pourtant à renouer avec Kaboul une alliance de revers qu'Islamabad était parvenu à anéantir en devenant elle-même le principal soutien des Talibans dans les années 1990. L'Inde prend aujourd'hui position en Afghanistan à travers une activité économique (développement des infrastructures) et des actions de formation (notamment des fonctionnaires). Le Pakistan y voit une menace pour sa sécurité et une hypothèque à la reconquête de son influence perdue après le départ des troupes étrangères. Si le Cachemire a longtemps été la principale pomme de discorde entre l'Inde et le Pakistan, la question afghane est en passe de compliquer encore leurs relations au moment où les deux pays prétendent reprendre le dialogue.

25 mai

Quel avenir pour l'Afghanistan ?

Gérard FussmanProfesseur au Collège de France, chaire « Histoire du monde indien », président de la Société Européenne pour l’Étude des Civilisations de l’Himalaya et de l’Asie Centrale

Vue avec un certain recul, l'actuelle guerre d'Afghanistan peut être considérée, quel que soit son résultat, soit comme la quatrième ou cinquième guerre d'indépendance du pays, soit comme l'une des innombrables révoltes contre le pouvoir central que les empires afghans ont connues. L'issue de la guerre déterminera l'avenir du pays dans l'immédiat. Mais à plus long terme il faudra prendre en compte les constantes qui pèsent sur son développement depuis le traité de Gandamak au moins : des frontières artificielles imposées de l'extérieur, un multi-ethnisme tronqué car ces frontières divisent des populations appartenant aujourd'hui à des Etats différents et parfois rivaux, une explosion démographique qui n'était pas une fatalité, des possibilités économiques restreintes, un système d'éducation pour l'instant incapable de fournir les élites dont le pays aurait besoin et le refus mondial d'accueillir les émigrés afghans. Aucun règlement de la question afghane ne sera durable s'il ne prend en considération ces données fondamentales.